Souvenirs d'enfance au doux parfum nostalgique.
Voyage dans le temps par Chantal Mameli-Ducauquy
J'ai passé mon enfance chez mes
grands-parents à Viry Châtillon dans les années 50. Ce n'était pas la campagne,
cette ville comptait déjà 13 000 habitants. Rue Emile Zola, petit pâté de
maisons entouré de quatre rues, dont je connaissais presque tous les résidents.
A l'époque les jardins étaient
utiles. Le potager prenait toute la place. Haricots verts grimpants, groseilles,
rhubarbe, oseille, carottes, pommes de terre, citrouilles, fraises et salades
occupaient tout le terrain, abrités par des arbres fruitiers. Nous n'avions que
les allées pour jouer. J'avais une copine, Françoise, qui habitait l'autre coin
de rue. Elle venait me chercher en criant mon prénom près du portillon.
« Oui, j'arrive ! À quoi on joue
aujourd'hui : vélo, poupées, craies et palet pour marelle, corde à sauter,
petites balles ? »
Nous jouions sur la route. Pas de
danger parce que pas de voiture. Juste celle de monsieur P. qui rentrait le
soir avec sa traction noire. Il roulait à dix à l'heure et klaxonnait du bout
de la rue. Chez mes grands-parents, pas d'eau chaude, pas de salle de bain, pas
de chauffage central, pas de frigo. Sur l'énorme cuisinière à charbon, une
grosse marmite tenait l'eau au chaud. Des salamandres dans les chambres
assuraient un minimum de chaleur pour la nuit. Je m'endormais en regardant
rougeoyer le foyer. Le lundi, la lessiveuse en zinc, dans la cuisine,
bouillonnait et crachait son mécontentement, dégageant une odeur dont je me
souviens encore. Ensuite, dehors, hiver comme été, il fallait frotter le linge
sur une planche à l'aide d'une brosse et après rincer encore et encore et
encore.
Je me souviens de matins d'hiver ou
les vêtements étaient raides gelés sur la corde à linge.
« Ne touche pas, tu vas les
casser ! »
Dans la cave, il y avait un
garde-manger, sorte de petit meuble en bois à la porte grillagée, où était conservée
la nourriture fraîche. L'été, la boisson était tenue au frais dans un seau
descendu dans le puit à l'aide d'une corde.
Chaque matin, la camionnette du
crémier s'annonçait en klaxonnant et offrait l'occasion de petites réunions
entre voisins. Le marchand de peaux de lapin, avec sa charrette, passait de
temps en temps récupérer les fourrures. Tous les enfants caressaient le cheval
qui affectait un air blasé. Passait aussi le rémouleur avec son cri
particulier. Ma grand-mère lui confiait ses énormes ciseaux noirs de
couturière.
Ces temps sont révolus, presque
anciens, un peu plus de 60 ans et nous sommes sur une autre planète.
Chantal Mameli-Ducauquy (Tout est
vrai).